Par Pierre de Meuse.
Il est vrai que nous sommes accoutumés depuis quelques années à cette « diplomatie de la connivence ».
Erdogan vient de déchaîner une tempête diplomatique en demandant publiquement à son ministre des affaires étrangères de déclarer « persona non grata » les ambassadeurs à Ankara de dix pays qui y sont accrédités.
Le procédé est inhabituel, puisque cette consigne aurait dû rester secrète, la note diplomatique devant être prise par le ministre. Le but de cette publication est évidemment de donner à l’évènement un retentissement particulier. Ces ambassadeurs sont ceux des États suivants : Allemagne, Canada, Danemark, États-Unis, Finlande, France, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas et Suède. Remarquons que la Grande Bretagne n’est pas concernée. Sans doute, plus soucieux des formes, le Foreign Office n’a pas pris la même voie que les pays objets de cette mesure, qui ont rédigé une déclaration commune, procédé inusité sur le plan diplomatique dans lequel on ne procède pas par pétition collective, même dans des circonstances graves. Cette note cosignée enjoint le gouvernement turc de « respecter la décision prise par la Cour européenne des Droits de l’Homme demandant à libérer Osman Kavala. »
Pourtant, sur le plan du Droit international, la Turquie n’est pas tenue de respecter les décisions de ce calamiteux tribunal. En effet, depuis le coup d’Etat raté du 15 juillet 2016, la Turquie a suspendu l’application de la Convention européenne des droits de l’Homme, conformément à l’article 15 de ladite Convention qui « prévoit la possibilité d’une telle dérogation en cas de danger public menaçant la vie de la nation », auquel cas un État signataire « peut prendre des mesures dérogeant aux obligations » de la Convention. La déclaration commune ne se fonde donc nullement sur le Droit et c’est à tort que la presse occidentale mainstream reproche à Erdogan de s’écarter des procédures diplomatiques habituelles. Il s’agit en effet d’une ingérence dans les affaires intérieures turques, totalement incompatible avec la souveraineté de ce pays. Il est vrai que nous sommes accoutumés depuis quelques années à cette « diplomatie de la connivence », selon l’expression de Bertrand Badié.
Au fait, qui est cet Osman Kavala, dont le nom est inconnu de la plupart d’entre nous ? Il s’agit d’un milliardaire turc de gauche qui est accusé à la fois de complicité dans le coup d’État manqué de 2016 et d’être « le représentant de Soros en Turquie ». Nous ne savons pas si ces accusations sont fondées, mais il est évident que de profondes similitudes sont apparentes entre ce personnage et le spéculateur hongrois qui a juré la perte de Viktor Orban et la destruction des nations européennes : utilisation du soft power et des ONG téléguidées pour renverser les gouvernements indociles à l’idéologie mondialiste. Après tout, quelle que soit l’hostilité de Recep Tayyip Erdogan à l’égard de la France, a-t-il tort, dans sa propre logique, de marquer des limites à l’ingérence occidentale ? Il est vrai que, par le passé, le gouvernement islamiste de l’AKP s’est bien accommodé des ONG partisanes, parce qu’elles affaiblissaient les pays d’Europe et leur souveraineté. D’ailleurs Osman Kavala était leur allié fidèle à tous deux. Aujourd’hui, voyant qu’elles se retournent contre son régime, le chef de l’État turc réagit car il sait bien où est son intérêt.
Reste à savoir l’essentiel : où se trouve l’intérêt de la France dans cette affaire ? Mis à part la soumission aux USA, il est bien difficile à détecter. Car les Etats-Unis, eux, ont engagé un bras de fer avec Erdogan au sujet du commerce avec l’Iran. En effet, le gouvernement turc a multiplié les intermédiaires afin de procéder à des échanges avec ce pays, en évitant les sanctions américaines qui frappent impitoyablement les alliés de Washington, qui entend conserver pour les USA les bénéfices induits. Le maintien en détention d’Osman Kavala pourrait être une réplique aux révélations de Reza Zarrab, (Photo) homme d’affaires turco-iranien qui a dévoilé les filières après avoir été arrêté et cuisiné pendant plusieurs années par le FBI et la CIA.
En somme, l’Amérique enrôle ses dupes pour qu’elles exigent que le mécanisme de l’escroquerie qui les ruine soit maintenu. On en rirait si notre pays ne s’était pas donné ce rôle honteux.
Un dernier point : les commentateurs de cet évènement devraient rapprocher la mise sous écrou du milliardaire Kavala des nombreux procès menés à grand son de trompe pour « tentative d’attentat terroriste » par le Ministère de l’Intérieur contre des bavards inoffensifs qui se sont bornés à des vantardises préparatoires à envisager de se réunir pour discuter des conditions permettant de se préparer à un acte violent non déterminé. Daillet et Kavala, même punition ? Les gouvernements dotés du label « démocratique » ont le droit à l’injustice, que l’on conteste à ceux qui ne l’ont pas. ■
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