Par Pierre Builly.
Germinal de Claude Berri (1993).
Haveurs, herscheuses et galibots.
Le plus puissant des romans du cycle des Rougon-Macquart n’est assurément pas très facile à porter à l’écran. Et cela au contraire des autres récits de Zola qui demandent moins de décors, moins de comédiens, moins de machineries et dont les intrigues sont plus linéaires : Au bonheur des dames, Pot-Bouille, Gervaise (L’Assommoir), Nana. Pour Germinal, il faut vraiment du souffle et presque de l’emphase, parce qu’au delà de l’histoire d’Étienne Lantier (ici Renaud) et de la famille Maheu, c’est celui de la mine dévorante et des masses éternelles.
Je n’ai pas vu la version d’Yves Allégret en 1963, encore moins, évidemment celle d’Alberto Capellani en 1913, mais j’ai regardé plusieurs fois ce Germinal de Claude Berri, qui date de 1993 en y prenant presque toujours un grand plaisir et, parallèlement en me moquant beaucoup des prétentions de ce médiocre cinéaste qui avait pour grandes qualités celles de savoir réunir beaucoup d’argent.
Et de fait, le film aux 8000 figurants choisis dans le bassin minier pour leurs trognes fut, un certain temps, le plus cher de toute l’histoire du cinéma français. D’ailleurs, lors de l’avant-première, à la fin de l’été 1993, on avait bien fait les choses : les happy few parisiens, dont, miraculeusement j’étais, avaient été transportés à Lille par un TGV spécial, où avait pris place le Président de la République, alors François Mitterrand. Et tout notre beau monde avait été installé aux plus belles places du grand cinéma où le film était projeté, reléguant les gueules noires de la figuration aux deux extrémités de la salle, juste devant l’écran ou presque dans les combles. Figurants qui n’avaient d’ailleurs pas, à l’issue de la projection, partagé le même cocktail. On a beau dire, le socialisme réel, c’était quelque chose de bien hypocrite et de bien rigolo.
Alors que, finalement, Germinal, au delà de l’anecdote, si bien bâtie qu’elle est, dans le roman, c’est tout de même la grande geste de la condition ouvrière, de l’exploitation de la force de travail des hommes par le Moloch de la Finance, de la Fortune anonyme et vagabonde, qui n’a pas de visage et qui n’est qu’indifférence pour le sort des gens ; on devrait montrer plus souvent le désarroi et le discours de Victor Deneulin (Bernard Fresson, impeccable) devant l’inévitable disparition du capitalisme familial, à visage humain, dévoré par l’anonymat des sociétés indifférentes qui, hier comme aujourd’hui, réclament avant tout l’accroissement du rendement de leurs dividendes : rien n’a changé, sinon en pire.
Venons-en au film et à la mine. À ce métier qui fut terrible, royal et symbolique, emblème des sociétés industrielles, qui utilisait tout le monde, pères, fils, filles, femmes, enfants et vieillards et qui était à lui tout seul une sorte de civilisation, bâtie autour de gens respectés, aimés, même par tous, au point que sa grande grève de 1963 planta une sacrée épine dans le cuir pourtant raide du Général de Gaulle. Je ne doute pas que Claude Berri ait conçu que c’était de cela qu’il s’agissait et qu’il ait essayé avec ses petites aptitudes de faire passer un certain souffle dans le film.
On peut lui reprocher ainsi qu’à Arlette Langmann, sa co-scénariste de n’avoir pas suffisamment élagué l’intrigue foisonnante du meilleur roman d’Émile Zola et d’avoir un peu accumulé les scènes à faire, au détriment de la pulsation fondamentale du récit ; de ce fait, hors l’épisode souriant de la ducasse, tout paraît marqué par le drame, qui tourne alors vite au mélodrame.
Et, à la fin, il faut achever en précipitant tout, un film qui dure près de 3 heures mais qui devait initialement comporter quarante minutes de plus. Cette adjonction aurait-elle servi le film, lui aurait-elle nui ? Va savoir ! Lorsque le souffle manque, on est bien en peine de le raviver.
Et c’est dommage parce que la distribution est excellente, hors le choix de Renaud, qui n’a pas once de talent dramatique et qui joue faux dès la première minute. En revanche Miou-Miou est parvenue à se donner la chair grise, molle de la Maheude et Depardieu est puissant ; que les seconds rôles sont très bien choisis et parfois magnifiques ainsi Judith Henry qui interprète Catherine Maheu, la pauvre gamine vouée de toute éternité à prendre des coups et à mourir comme une bête de somme éventrée et Jean-Roger Milo, qui est Antoine Chaval, le violent, le fruste amant tueur de Catherine. Que Laurent Terzieff est absolument glaçant en Souvarine, l’anarchiste qui va saboter la mine afin de précipiter la révolution anarchiste… Que Jean Carmet, Jean-Pierre Bisson, Jacques Dacqmine, Yolande Moreau, Gérard Croce (l’épicier Maigrat émasculé presque vivant par la foule furieuse) sont excellents.
Et pourtant ça ne marche pas, ou pas vraiment. Qu’est-ce qui manque ? Sans doute simplement le talent de mise en scène. Mais en tout cas c’est bien plus honnête, de la part de Berri que les horreurs de son hideux remake de Manon des sources… ■
DVD autour de 13 €…
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Pour approfondir ce thème, il existe un archive INA sur la vie d’une famille de mineurs en 1958
https://www.youtube.com/watch?v=eaXn28dlm6g
Et pour les cinéphiles, le Germinal d’Yves Allégret (1962) avec Bernard Blier
https://www.youtube.com/watch?v=ufTUadExL-I&t=161s