Il fut un temps pas si lointain – le rédacteur de ces lignes l’a vécu – où il était assez mal vu à l’Action française – parfois interdit – de citer Georges Bernanos. C’était la survivance de querelles anciennes que l’on n’avait pas su surmonter. Les choses ont bien changé aujourd’hui. Bernanos est très présent, très commenté, très louangé aujourd’hui à l’A.F. et, bien-sûr, au-delà. Mais en parle-t-on toujours en connaissance de cause ?
Je Suis Français a choisi de remonter aux sources de la relation entre Georges Bernanos, Charles Maurras et l’Action française dans son ensemble, en publiant de larges extraits de l’évocation qu’en donne Henri Massis* dans son Maurras et notre temps. Massis a vécu les événements qu’il relate de très près, il en a été l’un des acteurs, très proche des protagonistes. C’est, à notre sens, une source incontournable pour qui veut savoir et comprendre.
* Henri Massis – Wikipédia
Et Maurras à l’Académie !
Mais, abomination de la désolation, M. Maurras venait de faire pire encore, M. Maurras était entré à l’Académie, le maurrassisme triomphait… au Pont des Arts, et devenait le bien, la chose, de messieurs les Académiciens !
« Monsieur Maurras est à nous, rien qu’à nous, disent ces bons vieillards ! Ils l’ont, au sens véritable du mot ! Ils l’ont eu... », s’écriait Bernanos. « Incapables de lui donner la gloire, ils lui garantissent le « respect » !
Non, cela ne passait pas, ne pouvait pas passer à travers la gorge du vieux Camelot qu’était toujours Bernanos ; les petits fours servis, ce jour-là, par Goyau lui restaient sur l’estomac ! « Autant entrer aux Invalides, avec un uniforme, une casquette et deux sous de tabac à priser ! » — car tout valait mieux qu’un habit d’académicien avec l’épée, l’épée à rigole, et le bicorne à plumes ! Toutes les imprécations de Bernanos se ramènent à cela, et culminent dans cette « déchéance » qui prenait, à ses yeux, la figure d’un symbole ! Oui, par sa candidature académique, Maurras, le chef rebelle, irréductible, qui ne craignait ni la prison ni la mort, et autour de qui, à vingt ans, lui, Bernanos et ses pareils s’étaient juré de mourir comme autour de l’Archange inflexible de l’honneur et de la fidélité française, « Monsieur Maurras » s’était, ô scandale! rallié à un certain ordre de grandeur temporelle, à quoi, d’ailleurs, il avait toujours appartenu !
Sa réception s’était achevée en apothéose ! Il n’y manquait que le Président de la République ! Sans doute Maurras n’était pas, ne pouvait pas être « dupe de ce triomphe », « un homme tel que lui, se disait Bernanos, ne saurait se faire illusion sur le rôle qu’il tient auprès de ces gens qui n’ont pas lu ses livres, ne les liront jamais, se servent de sa pensée comme d’un alibi » — Bernanos, lui, n’en voyait pas moins là un « abandonnement », une capitulation, à tout le moins « une amère trahison du destin » ! Et, là-dessus, d’émettre de vains souffles de voix, de multiplier à satiété contre Maurras les « mémoriaux de l’exécration » !
Sans doute n’y aurait-il qu’à hausser les’ épaules ou à tourner la page, en laissant le pauvre Bernanos vider seul sa coupe d’amertume, si soudain, et comme hors de propos, la vérité, la cruelle vérité ne reparaissait qui met à nu sa profonde, son inguérissable blessure, celle qui ne se referma jamais !… « Je répète, dit-il, je répète que, quel que soit le jugement que l’on porte sur l’étrange destinée de M. Maurras, il reste que des milliers et des milliers de chrétiens et de chrétiennes ont assez cru en lui, en sa parole, à la probité de son action, pour supporter d’être privés de sacrements. Lorsqu’on a eu le malheur d’exiger ou du moins d’encourager de tels sacrifices, on. ne brigue pas l’Académie, on. n’invite pas les pauvres diables qui ont tout donné, tout risqué, même leur salut, à partager la joie d’une sorte d’apothéose scolaire ! »
Voilà le grief absurde que Bernanos fulminera jusqu’à la fin contre Maurras, en se jurant bien à lui-même d’y échapper toujours. La raison de ce ressentiment ? Bernanos la répète à satiété : « M. Charles Maurras a été, il est, et il sera, en ce monde et dans l’autre, l’homme pour qui nous nous sommes vus privés de sacrements, menacés d’une agonie sans prêtres ! » Mais cette part de la vie de Bernanos, les « nouveaux » bernanosiens peuvent-ils encore s’en émouvoir ? Cette part-là, nous, nous l’avons vécue, nous avons dû la vivre. Comment pourrions-nous l’oublier ? (À suivre) ■
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© JSF – Peut être repris à condition de citer la source.
Encore une série instructive ; Bernanos mérite bien inventaire . Il y a « à boire et à manger » : est ce le même , celui de » La grande Peur des bien-pensants » et celui qui écrivit » Les Grands Cimetières sous la lune » ?
L’évolution est parfois pénible lorsqu’elle aboutit à devenir un » bien-pensant » . C’est pire que d’entrer à l ‘ Académie française !