Par Jean-Paul Brighelli.
L’on peut se moquer des choses tout en les prenant très au sérieux et même avec gravité lorsqu’elle tirent vers le fond les personnes, la société et, intégralement, notre civilisation qui fut des plus grandes et menace ruine dans notre vilain aujourd’hui. C’est à peu près ce que fait ici Brighelli, [Causeur, 25 novembre] dans ce style inimitable et vrai que nous aimons toujours beaucoup, même quand nous ne sommes pas d’accord avec lui – cela peut arriver – sur ceci ou cela. Celui qui dit la vérité… Etc.
« Un jour de célébration des héros ne suffit pas pour exalter tous ceux qui bâtirent la France en l’arrosant de leur sueur et de leur sang »
L’idée n’est pas sans évoquer cette remarquable série de livres d’histoire, parue jadis chez Gallimard, sur les « trente journées qui ont fait la France ». Pourquoi trente, pourquoi celles-là ? En 1995, François Bayrou, ministre de l’Education, avait publié des programmes pour l’école élémentaire qui distinguaient nommément vingt-deux figures historiques [1], une liste que Claude Allègre retoucha à peine quand il fut à son tour ministre. N’ayant su choisir entre Danton et Robespierre, les deux ministres ne citèrent ni l’un ni l’autre. Le « héros » ne se contente pas d’être une figure historique, il faut qu’il soit exemplaire. Et ni les massacres de septembre ni la Terreur ne sont bien recommandables aux chères têtes blondes.
Quant aux têtes brunes, on cherche en vain, dirent certains commentateurs agacés, à quel personnage étudié ils pourraient bien s’identifier…
De la difficulté de faire une liste commune
Je suis assez vieux pour me rappeler que l’école élémentaire, « de mon temps », exaltait bien d’autres figures, Jeanne Hachette, le Grand Ferré, Duguesclin, le petit Barra — ou le général Bugeaud. L’Histoire n’était pas survolée comme elle l’est aujourd’hui, elle ne prétendait pas embrasser l’univers, elle se concentrait sur la France et reprenait les enseignements du Mallet-Isaac de nos grands-parents.
Mais nous sommes aujourd’hui en plein révisionnisme, et les dictionnaires, qui s’empressent de faire figurer des pronoms personnels inventés par la bien-pensance, éliminent chaque année des dizaines de noms propres pour insérer dans leurs colonnes des contemporains que l’actualité a soudain portés au pinacle. Rama Yade se dit choquée par Colbert, et veut elle aussi supprimer sa statue, sans doute finira-t-on par l’éliminer tout à fait, au nom d’une damnatio memoriae imposée par des groupes radicaux aussi minoritaires que tonitruants.
Chacun refera alors à loisir sa propre liste. Les Corses intègreront Pascal Paoli, les Bretons le marquis de Pontcallec ou Georges Cadoudal, les Vendéens revendiqueront La Rochejaquelein. Chacun voit l’héroïsme à sa porte. Deux écrivains en tout et pour tout, dans un pays où chacun se croit romancier ou mémorialiste, est-ce suffisant ? Un seul étranger (Vinci) dans une France actuellement dissoute dans l’Europe, est-ce bien sérieux ?
Mauvaise pente
On mesure la difficulté d’écrire des programmes — d’autant que les « professeurs des écoles » recrutés aujourd’hui dans les rangs des étudiants en Psycho / Socio recyclés ne connaissent rien à la plupart de ces « grands hommes », et contestent l’appellation elle-même. La Géographie a suivi la même pente mondialiste, c’en est fini des grands fleuves français ou des massifs montagneux. Et l’on préfère étudier une obscure peuplade africaine que la Gaule gallo-romaine ou la Guerre de Trente ans !
En fait, il faudrait dire, une fois pour toutes : Etudiez toute l’Histoire de France. Accrochez-vous au fil conducteur du récit national. Et si ce récit tire vers le roman, quelle importance ? Avoir appris précocement que Charles Martel arrêta les Arabes à Poitiers ne m’empêcha pas, plus tard, de réviser mon savoir parcellaire et de relativiser le poids d’une victoire qui s’est opérée à une date incertaine pour un bénéfice très relatif, puisque lesdits Arabes campèrent encore quelques siècles dans le sud de la France, et montèrent même jusqu’en Bourgogne — où ils s’établirent vignerons, preuve que le bon sens finit toujours par l’emporter, surtout quand on l’arrose à la romanée-conti.
Un jour de célébration des héros ne suffit pas pour exalter tous ceux qui bâtirent la France en l’arrosant de leur sueur et de leur sang. Mais le problème, outre la mauvaise volonté des enseignants qui hurlent au « caporalisme » dès qu’on leur suggère d’apprendre quelque chose aux enfants, réside dans une époque où chacun, parce qu’il prend de lui-même des selfies arrogants, se croit héros aussi bien que les autres — surtout s’il arrose son McDo au Coca et le rote au visage de ceux qui veulent lui enseigner l’humilité et la décence. ■
[1] Dans l’ordre chronologique : Jules César, Vercingétorix, Clovis, Charlemagne, Hugues Capet, Saint Louis, Jeanne d’Arc, Christophe Colomb, François Ier, Jacques Cartier, Léonard de Vinci, Henri IV, Molière, Colbert, Louis XIV, Napoléon, Victor Hugo, Jules Ferry, Pasteur, Marie Curie, De Gaulle, Jean Moulin. On a assez vite reproché à cette liste la rareté des personnages féminins… Sans compter (mais ce n’est pas ce que l’on enseigne en classe) qu’il n’y a qu’un seul gay reconnu (Vinci), et un seul bi officiel (Jules César, « l’homme de toutes les femmes et la femme de tous les maris », dit ce persifleur de Suétone). Et pas un seul « racisé », pour parler comme les racistes de gauche. Et sur le plan religieux, la liste fleure bon le catholicisme triomphant.
Excellent article plein d’humour .. À chacun sa vérité et à chacun ses héros préférés ..mais la conclusion est que nous au moins nous avons le choix !
Le 8 mai 1945, a lieu l’affaire des fusillés de Bad Reichenhall : exécution de douze Français ayant servi dans la division Charlemagne, et qui avaient été livrés à la 2e DB par l’armée américaine. Sinistre exécution qui entache l’image du général Leclerc comme celle du Duc d’Enghien pour Napoléon. Certains disent que Leclerc aurait demadé l’accord de Paris, d’autres qu’il aurait dit, furieux; » débarrassez moi de ces gens là ! » sans précision. Le Père Gaume qui les assista jusqu’au bout, parle de « commandant ! »
Dans les Vosges, la 2ème DB est sous les ordres des USA: La VIIth Army du général A. Patch, compte le XVth Corps (2e DB Française ; 44th et 79th Infantry Divisions) et le VIth Army Corps d’Edward H. Brooks. La fameuse percée de Leclerc attribuée à son talent de chasseur, serait en réalité, pour l’Amiral De Gaulle, le fait d’un de ses officiers. La relation était particulièrement mauvaise entre de Lattre et Leclerc.
Il est certain aussi que la popularité extraordinaire de Leclerc après la guerre éclipsait De Gaulle . Fin 46 ou en 1947, lors d’une commémoration où ils sont présents tous deux ( Alençon, Besançon ou Strasbourg ?), où la foule crie » Leclerc ! ». De Gaulle soudain rejoint sa voiture et Leclerc s’en aperçoit et va vite le rattraper . Pour l’Indochine, leur désaccord est total, Leclerc veut négocier avec Ho Chi Minh et D’Argenlieu sous l’influence de De Gaulle ( même après son départ en janvier 46) s’y oppose d’où le bombardement d’Haiphong. Lire « De Gaulle face à l’Indochine, l’aveuglement » du Colonel Quatrepoint et écouter Alain Decaux sur Leclerc.
Leclerc n’était pas un imbécile, mais il était buté et impulsif. Son caractère avait de bons côtés, par exemple, lorsqu’il continua à lire l’AF malgré la condamnation par Pie XI…. et les reproches de son épouse ; il en avait aussi de mauvais. La triste affaire de Bad Reichenhall est l’effet de son impulsivité. Il avait tenu à interroger personnellement les jeunes prisonniers, dont la plupart étaient blessés et avaient été ramassés à l’hôpital (deux d’entre eux ne pouvaient se tenir debout) avant d’être alignés comme à la revue. Leclerc les interpella: « N’avez vous pas honte de porter l’uniforme allemand? » Il lui fut répondu qu’il était mal venu de leur faire ce reproche alors que lui-même les apostrophait revêtu du battle-dress américain. Piqué au vif et ne supportant pas qu’on lui tînt tête, Leclerc les fit fusiller. Cela dit, certains officiers n’étaient pas d’accord et tentèrent de retarder l’exécution. C’est un capitaine qui prit sur lui de donner des ordres pour une exécution immédiate.
Les héros ont tous leur part d’ombre et personne n’est fait d’une seule pièce , c’est pourquoi nous devrions toujours être plus mesurés dans nos jugements ..mais nous aimons admirer ou détester pleinement car se poser des questions est souvent inconfortable.