Par Daniel Schneidermann.
Cette chronique – à contre-pied des réactions de type unanimiste à l’élection de Valérie Pécresse comme candidate LR à la présidentielle – est parue hier dans Arrêt sur image. Elle a selon nous le double intérêt de former comme une revue de presse plutôt consternante sur l’événement – ou avènement ? – Pécresse et d’en moquer le conformisme pollueur. Sans grande pertinence prospective, selon l’auteur, que nous rejoignons sur ce point. Le lecteur jugera.
On savait bien qu’il finirait par arriver, tôt ou tard, plutôt tôt que tard. Le voici, le « sondage qui change la donne ». « Pécresse en forte hausse »
titre BFM. Et CNews : « Celle qui inquiète la macronie »
. Et Le Figaro
. Et Libé
. Et ce ne sont pas seulement les médias privés. « Devant Macron au second tour »,
titre Franceinfo (service public). Bref, dans le sondage du jour, la candidate LR Valérie Pécresse, en forte hausse au premier tour, battrait Emmanuel Macron au second tour (52/48).
De ces sondages d’intention de vote, un grand journal, par une enquête approfondie, a détaillé de l’intérieur le processus de fabrication. Ce n’est pas vieux : c’était le 4 novembre dernier. Luc Bronner, du Monde
, s’est glissé lui-même dans la peau d’un sondé. « Selon les cas
, raconte Bronner, j’ai 19 ans, 26 ans, 47 ans, 73 ans. J’ai déclaré habiter aussi bien la banlieue parisienne que la Bretagne, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur ou le Grand-Est (…) J’ai inventé des réponses sur les briquets jetables, les dessins de sucettes pour bébés, une future publicité de l’enseigne Système U, les emballages des chocolats Lindt, les slogans d’Orange Bank, de la MAIF ou de Meetic, l’image d’Air France, les bandes-annonces de films qui sortiront en mars 2022, les qualités des acteurs britanniques Robert Pattinson ou Benedict Cumberbatch, les meilleurs ketchups, les meilleurs sextoys, l’image personnelle de Michel-Edouard Leclerc, la politique vaccinale française, les bières artisanales, les crèmes solaires, une comédie française qui devrait s’appeler Medellin,
le casting de la future série Amazon
The Peripheral, mais aussi sur Yannick Jadot, Anne Hidalgo, Michel Barnier, Xavier Bertrand, le congrès des Républicains, Eric Zemmour, Emmanuel Macron et l’élection présidentielle »
. « Via Internet, les gens se droitisent »
nous ont précisé des chercheurs.
Les confrères de Bronner qui décident d’accorder de la place au sondage Pécresse ont lu son enquête. Ils savent parfaitement ce qu’ils font. Ils savent qu’ils polluent la campagne avec de l’info-poubelle (vous me direz que la campagne n’est pas à ça près. C’est vrai). Ils le font tout de même. L’attrait du rebondissement, du suspense, du cliffhanger
, du « stay tuned » est plus fort.
indique un encadré de BFM. Ce joli mot : terrain. Le « Terrain effectué intégralement après la désignation de Valérie Pécresse et les meetings d’Éric Zemmour et de Jean-Luc Mélenchon »
« terrain »
est aux sondeurs ce que le « manger, bouger »
est aux fabricants de produits gras. Comme si un enquêteur, carnet en poche, avait sonné aux portes. Mais il n’y a eu aucun terrain, seulement des sondés plus ou moins virtuels, harcelés plusieurs fois par semaine par des sondeurs, cochant machinalement des cases, en espérant gratter des bons d’achat.
Rien ne change donc ? Ah si. Les rebelles osent s’affirmer. Bronner re-tweete son enquête. « Dans mon billet
de demain, il ne sera PAS question du sondage qui change la donne »
, promet en majuscules Frédéric Says, de France Culture. Et même chez les junkies, au carbone 14, on détecte la trace de quelques scrupules. Dans les petites lignes, ils admettent que leur marchandise ne vaut rien. CNews rappelle les précédents Fillon et Hamon en 2017 (flambées sondagières après désignation à la primaire, et effondrement ensuite). Libé
rappelle que les électeurs ne sont pas sûrs de leur choix.
Ne jamais désespérer. L’évolution se comptera en millions d’années, mais soyons patients.
Principe de base :
Avant le vote, rien n’est joué !
Après le vote, tout reste à faire !!
Par contre hier soir sur LCI, David PUJADAS a émis de très vives réserves sur ce type de sondage, en montrant que le même jour, 3 sondages d’instituts différents donnaient V PECFRESSE à 14,17 et 20% de votes
En fait un sondage bien manipulé apporte la fausse preuve que leur poulain ou pouliche est bien le meilleur, donc, votez pour lui/elle
Et si ,tout simplement, plus aucun sondage ne devait paraître. Considérant que tout sondage soit une arnaque intellectuelle, peut-on espérer que chaque candidat à la prochaine élection présidentielle me prenne au mot et qu’aboutisse la fin de ces « machins ». Bonne lecture.Merci.
Immodestement, je répète mon commentaire d’il y a quelques mois:
Je fais ce rêve presque chaque jour: que cesse cette révérence pour les sondages et cette complaisance qui les dit produits (ou fabriqués) par des « instituts ». Les sondages sont des outils puissants qui rendent service dans de nombreux domaines à l’exception notable du processus électoral démocratique. Je rêve que des Zemmour, oubliant leurs réflexes de journalistes, remettent, en matière électorale, les sondeurs à leur place, c’est à dire, au cabinet (comme disait Molière). Ces sondages en période électorale sont, essentiellement, un étouffoir pour la réflexion, une chape de plomb sur les débats, une arme de conditionnement de l’opinion et de neutralisation de la dynamique électorale.
Les sondages électoraux sont comme la publicité commerciale mais en bien pis. La publicité, aussi détestable soit-elle, s’interdit les classements, la désignation des vainqueurs et des perdants, l’ostracisation de certains produits . Ses arguments sont fastidieux, primaires et même subtilement mensongers mais la publicité commerciale ne préempte pas la décision de l’acheteur comme le font les sondages électoraux. Imagine-t-on le cauchemar que ce serait autrement ? Quelle serait notre liberté si nous étions constamment pré-conditionnés, avant d’entrer dans le magasin, à l’achat « utile », au produit « qui gagnera »,… et détournés des « petits » produits…Quant à la « cuisine », c’est le client qui la fait chez lui et non le marchand dans son magasin, « entre deux tours ».
Les sondages électoraux sont plutôt à rapprocher des « hit-parade » et autres « oscars » . pratiques parasites suçant la sève de leurs domaines d’application (littérature, spectacles, chanson, …), méprisables en ce qu’elles renforcent le conformisme. Pain-béni, en outre, pour les commentateurs et les journalistes en mal d’inspiration, pour le remplissage des journaux, pour les informations en continu. Les « instituts » de sondages ne font, en matière électorale, rien de différent, rien que de tout autant méprisable. Et pourtant, les « erreurs » des sondeurs font l’objet de nouvelles analyses tout aussi déférentes ! C’est à n’y rien comprendre.
Encore un effort, Eric Zemmour ! tu nous as affranchis de pas mal de tabous. Tu dois te libérer et nous libérer de la pratique des sondages et du culte pervers qui leur est rendu. Je rêve aussi que les citoyens prennent conscience du bien qu’ils se feraient s’ils refusaient de répondre, s’ils réservaient leurs opinions à l’isoloir. L’ISOLOIR, en effet, devrait retrouver son caractère sacré, indissociable d’une élection loyale. La disparition des sondages électoraux que les politiques en place refusent (et on comprend pourquoi), c’est le boycott populaire qui l’obtiendrait.