PAR RÉMI HUGUES.
Le cas Vanunu
La red sparrow la plus renommée de l’État hébreu s’est illustrée au mitan des années 1980. Elle s’appelle Cheryl Ben Tov. D’origine américaine, elle est issue d’ « une riche famille juive d’Orlando »[1], une ville se trouvant dans l’état américain de Floride. Adolescente, très affectée par le divorce de ses parents, elle se plonge dans l’étude de la religion juive, ce qui la conduit à partir visiter Israël, à vivre quelques mois dans un kibboutz. Le pays lui plaît, elle décide donc d’y rester, d’autant plus qu’elle tombe amoureuse d’Ofer Ben Tov, un Israélien, un vrai, un sabra, c’est-à-dire un Juif né sur la terre d’Israël.
Âgée de dix-neuf ans elle se marie avec lui. Ce Ben Tov n’est autre qu’un agent du Mossad. À leur mariage, sont présents nombre de ses collègues, dont un membre de la Melukha, le bureau de recrutement du Mossad. Ce dernier parvient vite à faire rentrer Cheryl au sein des services secrets israéliens.
Parmi les nombreuses questions qu’on lui posa lors des tests préliminaires à l’embauche effective, il y eut celle-ci : « Serait-elle prête à coucher avec un inconnu si sa mission l’exigeait ? »[2] Elle répondit que « si le succès d’une mission en dépendait, elle était capable d’aller au lit avec un homme. Il ne serait pas question de plaisir, uniquement de travail. Elle apprit donc à utiliser son charme pour forcer, séduire – et dominer. Elle se révéla très efficace dans ce domaine. »[3]
Disposant de capacités cognitives supérieures à la moyenne, dotée en plus d’une culture et d’un passeport américains, Cheryl est reçue après deux années d’entraînements intensifs. Elle commence au grade de bat leveyha au Kaisrut, le département du Mossad chargé de la liaison avec les ambassades israéliennes. Au début son activité se réduit au rôle de « couverture » : jouer la femme ou la compagne de katsas, les agents en mission de rang supérieur aux bat leveyha, dans des grandes métropoles européennes.
Au point de départ de la première mission importante de Cheryl Ben Tov il y a un coup de fil. Un appel téléphonique passé le 14 septembre 1986 par le magnat de la presse Robert Maxwell au Mossad. Ce dernier est un sayan, un informateur qui agit pour le compte de l’État sioniste. La raison de son appel est qu’il vient d’apprendre que l’on a proposé à l’un de ses journaux, le Sunday Mirror, un scoop sensationnel. Le journaliste indépendant colombien Oscar Guerrero a dans sa besace ni plus ni moins que des photos, des plans et autres documents prouvant que la centrale de Dimona sert à fabriquer des bombes atomiques, et donc qu’Israël est devenue une puissance nucléaire de premier plan, ce que l’État hébreu nie.
C’est un certain Mordechai Vanunu, un Israélien né au Maroc, alors en voyage en Australie, qui a fourni ces pièces à conviction au Colombien. De 1977 à 1986 Vanunu avait travaillé à Dimona en tant que menahil, contrôleur de l’équipe de nuit. Il avait ainsi accès aux endroits les plus confidentiels de la centrale, en particulier au laboratoire Makhon-2, la zone la plus secrète parmi les dix unités de Dimona. Il en avait photographié chaque recoin. En outre il était parvenu à sortir les pellicules de cet endroit très surveillé. Puis il fut licencié, non point à cause de cela puisqu’il n’avait pas été repéré, mais parce qu’il avait manifesté des convictions « gauchistes et pro-arabes ».
Il quitte alors Israël et entreprend un long voyage en direction de l’Extrême-Orient, coutume typique des Israéliens qui viennent de finir leur service militaire, dont le point d’arrivée est l’Australie. Sur le chemin il se convertit au christianisme. À Sydney il rencontre le journaliste Guerrero, avec qui il se rend à Londres pour vendre à un titre de presse britannique cette documentation exceptionnelle. C’est le Sunday Times qui se montre le plus intéressé. ■ (À suivre)
[1]Gordon Thomas, Histoire secrète du Mossad, Paris, Nouveau Monde, 2006, p. 214.
[2]Ibid., p. 216.
[3]Idem.
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