Samedi soir, au Bataclan, dans un concert censé honorer les victimes du 13 novembre, le chanteur britannique Sting a choisi de chanter « Inchallah »…
Par Thomas Clavel
Qui a bien raison de poser la question en titre et y apporte la réponse qui s’impose [Causeur, 14.11].
Il y a une semaine s’éteignait Leonard Cohen, dont la chanson Hallelujah résonne en chacun de nous comme un cantique éternel. « J’ai entendu qu’il y avait un accord secret / Que David a joué, et il a plu au Seigneur / Mais tu ne t’intéresses pas vraiment à la musique, n’est-ce pas? (…) Ta foi était forte mais tu avais besoin de preuves / Tu l’as vue se baigner sur le toit / Sa beauté et le clair de lune t’ont renversé » … Par ces paroles mystérieuses, à la fois bibliques et profanes, s’ouvre un des plus beaux morceaux jamais composés, mêlant à des arpèges d’une beauté saisissante ce refrain sacré, Hallelujah – Dieu soit loué ! – qui se répète inlassablement, s’élève et s’abaisse, espère et renonce, s’exalte et se brise.
Samedi soir, au Bataclan, dans un concert censé honorer les victimes du 13 novembre, le chanteur britannique Sting a choisi de célébrer un autre Dieu. Accompagné du trompettiste Ibrahim Maalouf, il a ainsi interprété Inchallah, un des titres de son dernier album qui rend hommage aux réfugiés perdus en mer Méditerranée. « La chanson raconte l’histoire d’une famille partie sur un petit bateau. Je n’ai malheureusement pas de solution politique pour la crise des migrants mais, s’il y en a une, je pense qu’on peut la trouver en faisant preuve d’empathie. En s’imaginant sur ce bateau avec vos enfants et ceux que vous aimez » a-t-il expliqué sur scène.
Homo Festivus ne pouvait imaginer plus belle réouverture ni plus belle rédemption pour la salle de spectacle la plus tristement célèbre de la planète : un artiste engagé chantant l’Islam et l’amour. Dans un narcissisme qui confine au délire, faisant fi de la souffrance infinie de centaines de familles, Sting allait absoudre et sauver l’Humanité de la haine des victimes à l’endroit de leurs bourreaux, des peurs occidentales à l’égard des migrations orientales, des phobies archaïques vis-à-vis des lumières de la diversité.
Sting a tenu à préciser au public qu’inchallah était « un très beau mot », comme pour appuyer un peu plus sa pédagogie lumineuse dans l’arène même où Allah était invoqué pour l’assassinat de 130 personnes, il y a un an.
Souhaitant probablement faire définitivement taire les allahou akbar des terroristes, cet Inchallah très maladroit les a bien au contraire fait résonner.
Il y a des choses que la pudeur commande de ne pas faire. Mais cette pudeur gagne rarement les hommes de spectacle que l’hubris finit toujours par métamorphoser en prêtres. La grande messe des émotions faciles et des absolutions immédiates a tellement corrompu la société du spectacle que tout artiste qui se respecte se croit sommé par la Providence de remettre les hommes de leur péchés, de leurs angoisses, de leurs préjugés, de leurs peurs.
Samedi soir, Sting n’a pas pris la mesure de l’événement auquel il était convié. Il aurait probablement pu se contenter de jouer ses titres classiques. Et pourquoi pas rendre un double hommage en interprétant ce merveilleux Hallelujah, bien plus consensuel, bien moins violent, bien moins violemment prescriptif.
Mais la promotion de son nouvel album et la propre célébration de son âme ne pouvaient se contenter d’une simple dédicace aux disparus du Bataclan. •
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