Par Pierre Builly.
Angélique et le Roy de Bernard Borderie (1966).
À grandes guides.
Merveilleuse Angélique s’achevait sur une conclusion finalement fort morale : Angélique de Sancé de Monteloup – épouse provisoire de l’inquiétant et fascinant Geoffrey de Peyrac – reprenait le fil de ce qui aurait dû être son destin et se mariait avec son cousin Philippe de Plessis-Bellière : les choses rentraient dans leur ordre immuable, pouvait-on dire et retrouvaient leur cours normal. Tout au moins est-ce ce que l’on pouvait penser, même si l’on avait remarqué que Louis XIV guignait avec gourmandise les charmes et les appas de la Marquise des anges.
Était-ce si certain ? Que nenni ! Le pré-générique d’Angélique et le Roy montre le pauvre Philippe (Claude Giraud), mortellement blessé lors de la campagne de Flandres (c’est-à-dire le conflit qui aboutit au traité de Nimègue où nous obtînmes la souveraineté sur la Franche-Comté) qui se réjouit de disparaître, ne pouvant trancher entre la fidélité qu’il doit à Louis XIV et l’amour qu’il porte à sa femme. Exit donc le beau Plessis-Bellière. La voie paraît libre pour le Roi-soleil. Mais ce ne sera pas si simple ! Le Roi s’est bien rendu compte qu’Angélique n’est pas une femme qu’on achète et moins encore qu’on force. Il va donc – ô habile homme ! – la valoriser en lui confiant la mission diplomatique de charmer l’ambassadeur de Perse, Batchiary Bey (Samy Frey). Il s’agit d’obtenir les bonnes grâces de ces sauvages mahométans pour prendre à revers les ambitions russes : on voit qu’on est là dans de la haute politique et qu’il n’y a pas tellement de quoi juger que les choses ont changé depuis 350 ans.
Hop ! Angélique qui doit penser que la chasteté ne lui réussit pas tant que ça est à deux doigts de succomber à la sauvagerie exotique du beau diplomate ; ouf ! une incursion du presque aussi sauvage mais nettement plus européen prince hongrois Racoczi (Fred Williams) la délivre (et n’empêche qu’Angélique, quelque temps après succombera à l’exaltation magyare de Racoczi et ne fera pas trop de manières pour passer avec lui un peu de bon temps). La fine mouche obtient aussi que le bey cruel vienne nouer à Versailles une alliance solide. Il aimerait bien recevoir à cette occasion le salaire de sa démarche, mais ce coquin de Colbert (René Lefèvre) juge opportun de prétendre que la Marquise est désormais la favorite du Roi.
Voilà qui tord le nez de la favorite en titre, Françoise de Montespan (Estella Blain). (Elle se fait appeler Athenaïs, parce qu’elle est très snob et que c’est une des Précieuses moquées par le charmant Molière ; elle fait partie d’une grande famille, une des plus anciennes de France, les Rochechouart-Mortemart)). Que faire ? Essayer d’empoisonner la nouvelle venue ? Certes ! Et une des belles séquences du film est celle où une des servantes d’Angélique, morte de peur, tente de la tuer : la chemise de nuit imbibée de poison, un poison si vif qu’à son seul contact tout se flétrit, linges et feuilles d’arbres, posée sur le lit et la Marquise se doutant de l’attentat, fustigeant sa domestique dont le visage, les bras, les mains se couvrent immédiatement de cloques mortelles… Très beau moment horrifique.
Puis la grande épouvante : l’affaire des poisons. Je ne cesse de déplorer ici et là que l’épouvantable perversion du satanisme n’ait jamais donné lieu à de véritables films intelligents : Henri Decoin a filmé en 1963 un truc assez honnête, avec Danielle Darrieux en Montespan, Paul Meurisse en Guibourg, prêtre démoniaque, Viviane Romance en Voisin, empoisonneuse et avorteuse, mais il manque beaucoup de substance, beaucoup d’épaisseur, beaucoup de noirceur dans la description de ces épouvantes.
J‘ai été un peu déçu que l’évocation de la chose dans Angélique et le Roy soit si brève, mais elle est plutôt bien montrée : maison isolée dans un faubourg perdu, murs lépreux, rassemblement de sectateurs aux visages effrayants, sacrifice démoniaque interrompu par le cri désespéré de la Marquise qui ne peut supporter qu’on immole un nouveau-né…
Et puis, surgi du fond des songes et des espérances, voilà que l’on apprend ce que l’on espérait confusément : Geoffrey n’est pas mort… Mais alors pourquoi fuit-il Angélique qui lui tend les bras et ne rêve que de le retrouver ? Parce que, ainsi que le dit l’indispensable Desgrez (Jean Rochefort) tant d’eau a passé sous les ponts qu’il n’est plus possible aux deux époux de se retrouver ? C’est évidemment ce que nous allons apprendre dans les deux derniers épisodes, où Angélique part à la poursuite de son passé et de son amour. ■ (Série à suivre).
* Parution de la suite les 30, et 31 décembre.
L’on peut se reporter aux articles parus :
Introduction à l’Intégrale des aventures de la Marquise des anges.
Patrimoine cinématographique • Angélique marquise des anges
Patrimoine cinématographique • Merveilleuse Angélique
DVD de l’intégrale autour de 20 €
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