PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro d’hier 29 mai, Mathieu Bock-Côté y évoque les folies de l’écriture inclusive qui fait ses ravages aussi à Montréal, mais au-delà, l’inquiétante émergence de cités-États encore plus déracinées, multiculturelles et diversitaires que les États-nations ne le sont déjà. Cités-États postnationales vouées à l’édification du monde, de la société, de l’homme nouveaux. Déracinés et non-genrés ! Vouées à en être l’avant-garde active, en un sens quasi léniniste. C’est ainsi que la Révolution s’achève anthropologiquement. Après l’exaltation de l’homme abstrait, de l’homme de nulle part et de nulle histoire, elle finit par le détruire en tant que tel. Terrible perspective qui glace d’effroi et d’horreur. La contre-révolution qui s’impose – si elle reste possible et nous le croyons – se devra d’être aussi radicale.
La cousine survitaminée d’Anne Hidalgo
Charismatique et joviale, Valérie Plante, la mairesse de Montréal, pourrait passer pour la cousine survitaminée d’Anne Hidalgo. Elle n’en demeure pas moins une idéologue de gauche inflexible. Depuis son élection, en novembre 2017, elle a cherché à convertir la métropole québécoise en laboratoire du néoprogressisme. Sans surprise, elle ne cache pas son hostilité aux automobilistes. Mais l’essentiel est ailleurs.
En 2018, elle avait envisagé, avant de reculer, la mise place d’une brigade anti-rumeurs, censée surveiller les conversations des citoyens pour contenir la diffusion des discours critiques sur l’immigration. Adepte du multiculturalisme, elle présentait récemment dans un clip vidéo une vision de l’histoire de Montréal gommant complètement ses origines françaises, en plus de multiplier les discours remettant en question la légitimité de la présence européenne en Amérique. Les Québécois sont de trop chez eux. La mauvaise conscience occidentale touche là son paroxysme.
Controverse
La dernière initiative de l’administration Plante a toutefois suscité une certaine controverse chez le commun des mortels. On apprenait ainsi à la mi-mai qu’au nom de la lutte contre la « suprématie du masculin sur le féminin » dans la langue française, la ville se convertira formellement à l’écriture inclusive, et plus particulièrement, à l’écriture épicène. Il existe une sociologie féministe paranoïaque, devenue la norme universitaire, qui veut renverser un patriarcat depuis longtemps effondré, mais qui se montre étrangement silencieuse devant le voile islamique, normalisé au nom de la diversité.
Il s’agira de remplacer autant que possible les marqueurs « genrés » dans la langue, comme si elle devait intérioriser les prescriptions de la théorie du genre, pour abolir la différence sexuelle. Comme le dit la ville dans un document officiel, « au XXIe siècle, il est temps de revoir notre façon de s’exprimer pour assurer l’inclusion des divers types de genre humain ».
Radio-Canada donnait un exemple de cette nouvelle manière d’écrire : « Au lieu de dire, par exemple : “La Ville recherche un responsable de la communication non genrée”, il faudrait dire ou écrire: “La Ville cherche responsable de la communication non genrée”», sans l’article défini « un ». N’oublions pas non plus l’usage du loufoque point médian qui hachure les mots au point de rendre les phrases illisibles. Dans la jeune génération, victime d’un conditionnement idéologique sans précédent, cette manière d’écrire se normalise. Les fonctionnaires municipaux devront se soumettre à des séances de formation linguistique, pour apprendre à écrire la novlangue féministe. On devrait plutôt parler de séances de rééducation. On sourira en pensant qu’il suffira d’écrire correctement, en respectant les règles de la langue française et non pas celles de la novlangue, pour entrer en dissidence contre l’administration montréalaise. Il suffira d’écrire un français convenable pour devenir réactionnaire !
Orwell l’avait bien vu, qui contrôle le sens des mots domine ensuite la vie de l’esprit. C’est ainsi qu’on doit comprendre cette tentative de conquête du langage. Le progressisme cherche à soumettre la totalité du réel à sa logique. Rien ne doit lui échapper. On y verra une idéocratie, pour le dire avec Milosz. Trop souvent, ce qu’on appelle la droite peine à prendre au sérieux les innovations idéologiques du progressisme, en y voyant tout autant d’excentricités intellectuelles appelées à passer. Mais la folie ne passe pas, et se diffuse. À force de ne résister à rien, la droite intériorise les exigences de la gauche, et se justifie au nom de la modernité et du pragmatisme. On peut le prédire, demain, la droite médiatiquement convenable adoptera l’écriture inclusive. Parce qu’elle refuse de prendre au sérieux la guerre idéologique menée par le régime diversitaire, elle en vient toujours à s’y soumettre, avant d’accuser ceux qui s’obstinent à lui tenir tête de déraper vers l’extrême droite.
Il faut inscrire cette réforme montréalaise dans une perspective globale. De plus en plus, les métropoles mondialisées cherchent à s’affranchir de leur pays. On l’a vu au moment du Brexit, quand plusieurs Londoniens en appelèrent à la sécession de leur ville du Royaume-Uni. Il s’agissait de s’arracher d’un cadre national jugé réactionnaire et trop blanc. La métropole devient le laboratoire d’une civilisation nouvelle, multiculturelle, postnationale et post-genrée, où toutes les appartenances naturelles et historiques pourront se dissoudre, pour qu’advienne une société plurielle, où dans les faits, se multiplieront les ghettos identitaires. Le progressisme trouve dans le fantasme de la cité-État affranchie de la pesanteur historique de l’État-nation un espace où projet une nouvelle utopie, où le régime diversitaire se déploiera sans entraves. À Montréal, il pousse même à inventer un nouveau langage. ■
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Patrick Buisson disait avec beaucoup de pertinence qu’en France il y avait deux gauches dont l’une s’appelle la droite.
RPatrick Buisson avec son livre » La cause du peuple » , si l’on franchit l’ appréhension du titre , est un exemple rare du français » écrit » que l’on croyait disparu de la littérature postérieure au mitan du XXe . Même si l’ on trouve encore , Dieu merci , du » bien écrit » , il y a eu une évolution , peu perceptible mais prégnante faisant perdre l’usage d’un style et de règles , risquant d’aboutir à rendre illisibles les classiques du XVII e pour les jeunes générations ; pour le fond , livre également remarquable , après lecture .
Pour revenir au Canada , grâce à cette chronique de M. Mathieu – Bock – Côté , il est toujours passionnant de connaitre ce qui s’y passe en matière d ‘évolution linguistique comparativement à Paris . Paris qui n’est pas toute la France : il suffit d’aller chez un coiffeur au centre de la France , pour entendre , par exemple » y a d ‘ la misère dans les genoux , on va -y- avoir mauvais quand ça va faire froid » ; ceci compensant les » flow bird » affichés par la municipalité , ( pour rajeunir la ville ? ) sur les bornes de stationnement payant .
Espérons pour le Canada qu ‘ il en soit soit également de même .
Article d’une rare pénétration, comme d’habitude. Les braves couillons de la Droite molle qui ne pense important que l’état de l’économie n’accorde de fait aucune importance à ces questions de langue. Ils ont amis et pratiqué toutes les impropriétés de dénomination (« Kanaks » au lieu de Canaques, »Président de région », « président de département »), la féminisation des titres « députéE, écrivainE, docteurE », les aberrations (« Madame le préfètE, qui était en langage relâché, la femme du préfet, comme la « GénéralE » ou la « ColonellE »). Ils passeront sans peine à l’écriture inclusive.
Et pleurnicheront sur la Dette, faisant mine d’ignorer que personne ne remboursera jamais.
Ces bobos sont, version molle, les descendants des terroristes de 1793 qui changeaient les noms des jours et des mois, choisissaient des prénoms venus de la Rome républicaine, imposaient le tutoiement obligatoire et l’appellation de citoyen à la place de monsieur ou madame dans les relations sociales. Il y a chez eux la volonté de refaire l’humanité (mais a-t-on encore le droit d’employer ce mot, ou faut-il dire selon les nouvelles normes humaniféminité ? ) selon leurs fantasmes idéologiques. Il n’y a qu’a regarder la photo en tête de cet article pour voir l’euphorie hébétée caractérisant ces bobos (faut-il dire ces bobottes ?) qui suent le contentement de soi de la modernité triomphante. Ah comme nous sommes vertueux, comme nous sommes justes, comme nous incarnons le futur ! Écœurant.