Frères humains, qui après nous vivez,
N’ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Se frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A lui n’ayons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n’a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Lu par Gérard Philipe
Le 5 janvier, le Parlement de Paris a condamné François Villon à dix ans de bannissement, à la suite de la pénible « affaire Ferrebouc » : à la fin novembre 1462, le notaire pontifical Ferrebouc est blessé, au cours d’une rixe à laquelle il n’est pas prouvé que Villon ait participé, ni directement ni indirectement. Mais son passé de personne fréquentant les milieux louches – on l’appelle souvent « le poète-truand » ! – ne plaide pas en sa faveur; on l’emprisonne et, normalement, la sentence, dans ce genre d’ « affaire » est la mort.
C’est donc, très probablement, en prison, dans l’attente d’un jugement qu’il croyait rendu d’avance et dans la quasi certitude d’une mort imminente, que Villon compose sa Ballade des pendus.
Amnistié, contre toute attente, il sera néanmoins banni de Paris pour dix ans, par le Parlement.
François Villon
Repris de l’éphéméride du 8 janvier, version 2021-2022
Buer, Débuer, Harier, trois verbes à remettre en service. Nous avons encore buée et buanderie; débuer sonne plutôt mieux que désembuer n’est-ce pas ? Quant à harier, pour harceler, s’acharner sur, il s’enrichit de l’image du Harrier, chasseur à décollage vertical britannique (Hawker-Siddeley) . Un vrai rapace (en anglais le « harrier » est un faucon)!