Par David Brunat.
Cette tribune a été publiée hier dans FigaroVox. Demain 15 janvier 2022, la France fêtera les 400 ans de la naissance d’un de ses génies : Molière. Notre auteur rend un chaleureux hommage à ce géant des lettres et du simple génie français. Et, pour le coup, il a bien raison.
Quand il vous parle, vous l’écoutez de toutes vos oreilles, de tous vos yeux, de tous vos sens.
C’est un ami qui vous veut du bien. Il ne vous décevra jamais. Fréquentez-le tout votre saoul, consommez-le sans modération. Sa bonne humeur est sans mélange, son humour revigorant, sa générosité sans borne.
C’est un ami dont on ne se lasse pas. Plein de ressources et d’agrément, d’humour et de bons tours dans son sac, génial sans la ramener, bienveillant sans naïveté, il n’ennuie jamais, divertit toujours. Quel esprit ! Quelle drôlerie ! Il instruit sans effort, fait rire sans méchanceté, morigène sans aigreur ni arrogance. C’est une belle nature, un bon camarade sur qui vous pouvez compter en toutes circonstances.
Et puis sa conversation est l’une des plus pures et captivantes qu’on puisse concevoir. Quand il vous parle, vous l’écoutez de toutes vos oreilles, de tous vos yeux, de tous vos sens. Après l’avoir entendu, vous croisez au bureau, dans la rue, dans votre famille, les personnages dont il vous a entretenu et qui semblaient tout droit sortis de son imagination. Un vrai sorcier !
Il pourrait avoir l’air un peu vieillot à première vue. Il faut dire qu’il soufflera bientôt ses quatre cents bougies. Si vous ne le connaissiez pas, vous pourriez le croire empoussiéré, empesé, emperruqué comme l’un de ces marquis d’Ancien Régime qu’il a si souvent ridiculisés. Un classique ? Un monstre sacré intimidant, inabordable ? Un astre mort ? Un courtisan révolu ? Un type vieux jeu ? Un has been, comme on ne dit pas dans sa langue ? Rien du tout ! C’est le plus moderne, le plus actuel, le plus juvénile de nos auteurs. Indémodable. Inusable. Intemporel. Quatre fois centenaire mais sans avoir pris une ride.
Quel bougre de magicien est-il donc ? Il ne s’est pas contenté de trouver le secret de l’éternelle jouvence des lettres et des planches. Ce pendard, ce faquin a réussi au fil du temps (après avoir été copieusement haï de son vivant) le tour de force de se rendre aimable à tous, petits et grands, humbles et puissants, savants et ignorants, hommes et femmes, féministes ou pas, progressistes et réac, dévots et mécréants.
Sa compagnie est agréable et propice à tous les âges de la vie. Ce qui en fait l’un des rares écrivains, avec son contemporain La Fontaine (né six mois avant lui), chez qui l’on s’invite en toute saison avec un égal plaisir, que l’on ait l’âge du jouvenceau ou celui du barbon, du galant ou de la matrone, de la servante accorte ou du vieux maître souffreteux, de Dom Juan ou du Commandeur, de la jeune fille à marier ou du cocu qui sucre les fraises.
Et avec cela, son art de raconter est si éclatant, si pur, si merveilleux qu’il est devenu l’étendard et l’ambassadeur en chef de la langue française. Il la représente et l’incarne dans ce qu’elle a de plus pur, de plus relevé, de plus noble et de plus naturel à la fois. Mais ce n’est pas seulement un homme de mots. Dramaturge et acteur, certes, mais aussi décorateur, metteur en scène et entrepreneur, il a excellé dans toutes les disciplines qu’il a abordées, et à chaque fois enrichies, exhaussées, sublimées de son génie multiforme.
Sa maison, hospitalière et attachante au possible, est pleine de vie et de surprises. Une vraie ruche ! La Comédie-Française avec sa Troupe, la plus ancienne au monde, assure le spectacle avec un talent fou et ce mélange de maîtrise absolue et d’audace inouïe, de rigueur et de folie, de tempérance et de démesure qui caractérise son œuvre.
Quand on pense qu’il n’a même pas été reçu au Panthéon ! Mais il s’en moque bien, allez. Son panthéon à lui, plus grand que tous les sanctuaires de pierre, est une cathédrale de mots, une incomparable galerie de personnages, un bestiaire complet de l’humaine condition. Et le cœur du public. Et la dévotion des comédiens.
Cet ami affable sait montrer les dents et fourbir ses armes pour livrer bataille contre de dangereux virus sociaux qui s’appellent couardise, bêtise, forfanterie, crédulité, hypocrisie, manipulation, avarice, misanthropie … Il possède au plus haut point la science des hommes. Mais cet humaniste lucide, ce sociologue au regard d’aigle n’est pas un donneur de leçons. Mordant, jamais grinçant. Il dit, présente les faits, dépeint les personnages, met à nu vices et ridicules, mais sans acrimonie, sans grandiloquence vengeresse ni vanité d’auteur. Il sait aussi se moquer de lui-même et il ne s’en prive pas.
Bref, c’est une sorte d’ami parfait, comme est parfaite la langue qu’il parle, qu’il nous parle. Sa fréquentation est l’une des plus fécondes qui soient pour l’hygiène de l’esprit, pour sa récréation et sa consolation, son élévation et son bon équilibre. Elle constitue le meilleur antidote à la misanthropie ainsi que le plus efficace vaccin contre la tristesse et le vague à l’âme. Une médecine idéale en quelque sorte.
Bon anniversaire et merci pour tout, cher Molière ! ■
Ancien élève de l’École normale supérieure et de Sciences Po Paris, David Brunat a été membre de plusieurs cabinets ministériels. Consultant, il est également écrivain. Auteur d’une dizaine d’ouvrages, il a notamment publié «Pamphlettres» (Plon, 2015), «Giovanni Falcone: Un seigneur de Sicile» (Les Belles Lettres, 2017) et «ENA Circus» (Éditions du Cerf, 2018). Il est aussi administrateur de la Fondation de la Comédie-Française.