Par Pierre Builly.
Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle (1958).
Première classe.
Introduction : À Paris, un ancien officier parachutiste, Julien Tavernier, amant de Florence, femme de son patron, se débarrasse du gêneur et accomplit un crime parfait. Voulant supprimer un indice compromettant laissé sur les lieux du crime, il est bloqué dans l’ascenseur. Florence le recherche en vain toute la nuit. Et ce n’est pas tout…
Un film superbe, maîtrisé du début à la fin, muni de ce style si particulier de Louis Malle, qui sait instiller le malaise comme personne.
Le scénario est magnifique d’ingéniosité et de sophistication, habile, très intelligent, coinçant les protagonistes dans une sorte de cage dont personne ne peut sortir, pas plus que Julien Tavernier (Maurice Ronet) ne peut sortir de l’ascenseur dans lequel il est bouclé pour la nuit. Il fonctionne comme une mécanique implacable et évidente.
Mais il ne serait rien sans le talent absolument bluffant de Louis Malle pour représenter le Paris de 1958, indifférent, et quelquefois hostile, un Paris du quotidien et de la modernité, sans aucune concession à la carte postale et à l’épanchement touristique ; un Paris quotidien, immédiat, presque banal, qui n’est pas, pour une fois, une vedette à part entière, mais un simple élément de décor. Malle filme en centrant son regard sur les trajectoires parallèles de ses protagonistes. Mais, comme dans certaines orientations de mathématiques modernes, il se trouve que ces parallèles se touchent, voire font collision : toute la machinerie infernale d’Ascenseur pour l’échafaud avance avec évidence et cruauté ; il y a toujours une fascination de la fatalité, dans le cinéma de Louis Malle, dans Les amants, dans Le feu follet, comme plus tard, dans Lacombe Lucien, une sorte de constance dans l’inéluctable.
La musique jouée en improvisation par Miles Davis et un quintette enchanté, n’a pas été pour rien dans le succès d’Ascenseur pour l’échafaud : c’est peu dire qu’elle est consubstantielle au film, qu’elle l’entoure et l’exalte dans toutes ses péripéties, qu’elle en crée même la substance : l’errance de Florence Carala (Jeanne Moreau) dans des rues violentes, hostiles de néons blafards existerait à peine sans les notes de jazz qui l’accompagnent.
Le jazz, d’ailleurs… 1958, c’est sans doute son apogée, son installation dans le paysage artistique, avant qu’il soit segmenté, confiné comme de la musique de spécialistes, d’amateurs, sans rapport avec la musique qu’on entend partout. Ses notes désolées, macabres, cruelles ont celles de la modernité et de l’indifférence…
Très belles performances d’acteurs ; beauté inquiète de Maurice Ronet, beauté inquiète de Jeanne Moreau ; Lino Ventura qui, au début de sa carrière, crève déjà l’écran. Des scènes formidablement bien tournées, avec un œil neuf et un art impressionnant de la composition : voir notamment les séquences où Ronet est interrogé par Ventura, commissaire de police, et Denner, inspecteur : une composition sèche, esthétique, inquiète, magnifique…
La faiblesse d’Ascenseur pour l’échafaud tient dans ses dialogues. Roger Nimier qui, à force d’avoir tous les talents, n’en avait véritablement aucun, comme Jean Cocteau, d’une certaine façon, a écrit de façon trop emphatique, trop littéraire une partition mal équilibrée ; il y a des bonheurs d’écriture, certes, mais il n’y a pas cette respiration souple qu’on attend d’un vrai auteur de cinéma.
Dommage. Mais le reproche est mineur… ■
DVD autour de 16 €
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