PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro d’hier, samedi 15 janvier. Mathieu Bock-Côté y poursuit son travail d’analyse et de « déconstruction » de la « révolution culturelle » actuellement à l’offensive. Et, en l’occurrence, contre les catholiques, sommés de se coucher et de se taire. Nous voici, sous d’autres formes bien plus radicales, revenus au temps où Maurice Barrès dénonçait la grande pitié des églises de France. Nous y sommes par la triple faute du laïcisme toujours présent, de l’islam conquérant et de l’Église elle-même, le plus souvent couchée, silencieuse et consentante Nous n’avons rien à ajouter d’autre si ce n’est notre accord.
Le vandalisme antichrétien est fréquent en France, et dans la nuit de dimanche à lundi deux églises de la Seine-Saint-Denis ont été prises pour cible. Ces événements n’ont rien d’isolé, mais lorsqu’ils se fraient un chemin vers les médias, les politiques sont obligés de se mobiliser. À tout le moins ceux d’entre eux qui ne les réduisent pas à de regrettables faits divers. Le profil des vandales n’est pas toujours le même, leurs motifs varient aussi. Ils vont de la bêtise pure et simple au fanatisme. Les uns, à travers les églises, veulent s’en prendre à la religion catholique. Les autres visent plus largement la France. Sans oublier les simples pillards, qui existent encore et qui rêvent de fendre le tronc de chaque église pour le dévaliser en s’emparant au même moment de précieux objets nécessaires au culte.
Il faut inscrire ces événements dans un contexte plus large. Début décembre, on s’en souvient, une procession catholique a été attaquée à Nanterre. Le cri de guerre de la meute était sans ambiguïté, «Vous n’êtes pas chez vous», d’autant qu’il se mêlait à plusieurs références à l’islam. On ne prêtera pas une culture historique exceptionnelle aux agresseurs de décembre, non plus que la moindre profondeur spirituelle. Mais on constatera qu’ils se percevaient spontanément eux-mêmes comme des conquérants, occupant une terre leur appartenant désormais, se donnant le droit d’en chasser les anciens habitants et de piétiner leurs symboles. Instinctivement, ils se sentaient en droit de chasser les tenants d’une religion vaincue en ses terres historiques devant faire profil bas pour éviter les persécutions. Aux catholiques, ils disaient simplement : couchez-vous et taisez-vous. Certains, qui prennent un peu trop au sérieux l’idée selon laquelle il faudrait tendre l’autre joue, le font obligeamment.
La question est presque rituelle: pourquoi s’émeut-on aussi peu des agressions contre les catholiques alors qu’on réagit vivement lorsque les autres religions sont ciblées? Comment expliquer ce deux poids, deux mesures? La réponse est aussi connue, même si elle est désagréable à entendre: l’imaginaire de l’époque, on pourrait aussi parler de l’idéologie dominante, trie entre les victimes légitimes et les autres. Les victimes légitimes viennent des «minorités». Elles seraient structurellement et presque ontologiquement assujetties aux sociétés occidentales, même s’il s’agit de populations s’y étant librement installées et bénéficiant des libertés et de la prospérité qu’elles offrent. Quant aux victimes illégitimes, comme les chrétiens dont nous parlons ici, il s’agirait de victimes accidentelles, sociologiquement insignifiantes. C’est la même manière de pensée qui pousse la sociologie de gauche à expliquer que le racisme antiblanc est théoriquement inconcevable. À toujours modifier la définition des mots pour les confisquer, elle parvient à fabriquer une vision du monde qui falsifie la réalité.
Faut-il donc protéger les lieux de culte? Personne ne dira non, mais il y a quelque tristesse à dire oui. Car cela revient à faire de l’insécurité la norme durable à laquelle les Français doivent s’adapter. Faut-il se faire à l’idée que, pour une période indéfinie, qui pourrait durer longtemps, il faudra toujours plus de policiers et de grillages pour vivre à l’abri des agressions et vivre sa foi en paix? Tôt ou tard, il faudra distinguer la lutte de tous les jours contre l’insécurité d’une véritable pacification de la société française, qui devrait, à terme, espérer jouir de ses libertés sans avoir à mener une lutte de tous les instants contre les différentes formes d’agression possibles, qu’il s’agisse de la persécution des hommes ou du vandalisme contre des lieux qui devraient plutôt inspirer la piété. Pour le dire simplement, il faudrait se déshabituer à l’insécurité.
Pour se consoler, on verra néanmoins dans les derniers événements une preuve paradoxale de la permanence du sacré en nos sociétés. Même vides, les églises demeurent au cœur de l’architecture mentale du pays. C’est vers elles que les hommes se tournent quand les questions les plus fondamentales, refoulées dans les jours ordinaires, remontent à la surface et saisissent l’âme. L’existence ne saurait être intégralement «déritualisée» sans être déshumanisée. Croyants et incroyants communient dans une finitude partagée et nul n’est étranger aux questionnements liés au mystère de l’existence et aux fins dernières. Les lieux de culte permettent aux hommes de se recueillir, de trouver un environnement particulier où souffle peut-être l’esprit. Qui s’en prend à une église, un temple, une synagogue ou une mosquée n’est rien d’autre qu’un barbare décomplexé. .■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques(éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
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