Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
18 mai : consternés ou agacés par l’intervention récente de la cour de Karlsruhe, les européistes accueillent avec soulagement la proposition conjointe de Mme Merkel et de M. Macron d’un plan de relance de 500 milliards d’euros financé par un endettement (et donc un remboursement) commun. Neuf jours plus tard, le 27 mai, c’est l’enthousiasme : Mme von der Leyen va encore plus loin en portant le montant à 750 milliards et en érigeant la Commission européenne en potentielle détentrice et dispensatrice de fonds propres. « Dynamique à l’oeuvre », « tournant historique » dit-on ou écrit-on ici ou là. Formulations hyperboliques alors que, bien entendu, rien n’est encore fait ni même décidé : pour rallier les pays austères-frugaux-radins, les technocrates de Bruxelles doivent encore concocter un de ces accords tordus dont ils ont le secret.
Pour l’instant, nous en sommes encore au stade de l’annonce, de la communication. Sans entrer dans le détail des chiffres avancés, on peut quand même se poser quelques questions. D’abord sur la nature même de ce « plus d’Europe » qu’on nous promet comme une avancée. Ce serait, c’est certain, une avancée de l’Union telle qu’on la connaît et telle que les peuples la rejettent, avec ses paradis fiscaux, son libre échange, son agriculture industrielle, sa techno-structure bruxelloise, etc. Ce serait probablement aussi de profonds et douloureux bouleversements socio-économiques – car il est difficile de penser que des centaines de milliards seraient dispensés sans contreparties structurelles visant à aligner certains pays (notamment au sud, France certainement incluse) sur un prétendu modèle.
On peut donc comprendre la position maximaliste d’une Commission européenne qui a saisi l’opportunité de se conforter elle-même dans son existence parasitaire. Mais comment les deux instigateurs de la chose en sont-ils arrivés là ? Pour des raisons, semble-t-il totalement opposées. La France, c’est à peu près sûr au vu des premières estimations chiffrées, ne gagnerait rien sur le plan financier. Pis, elle devrait perdre – et il faudra bien qu’il y ait des perdants puisqu’on nous annonce que l’Espagne ou l’Italie, entre autres, devraient être bien loties. La part française de l’impôt européen calculée sur la participation française au budget européen serait ainsi certainement supérieure à la somme globale qui nous serait attribuée par secteurs et régions. Ce qui signifie que, dans cette affaire, M. Macron n’a pas agi dans notre intérêt national mais dans l’intérêt d’une Union à laquelle il semble viscéralement attaché, soit par idéologie soit par ambition personnelle.
En revanche se pose la question d’un prétendu revirement de l’Allemagne. On peut d’abord penser que Mme Merkel, dont la retraite politique approche, entend peaufiner l’image qu’elle laissera : à celle d’une femme généreuse qui a ouvert les bras à un million de musulmans se superposerait celle d’une grande « européenne » qui aura défendu la cause jusqu’au bout. Mais, de même que sa motivation immigrationniste a été autant, si ce n’est davantage, pragmatique qu’humaniste, de même est-il profitable pour l’Allemagne, dans la période incertaine que nous vivons, de ne pas (pas encore, peut-être) abandonner à son sort la moitié de l’Union : c’est en effet avec ses partenaires européens qu’elle réalise la plus grande part de ses excédents commerciaux, grâce à l’euro (un mark ressuscité serait immédiatement réévalué de 30%).
Certains se demanderont évidemment si la fille du pasteur n’a pas fait preuve de duplicité car, quelle que soit la suite, l’Allemagne conservera – et elle est bien la seule en Europe – les moyens de s’imposer au reste de l’Union et, ne l’oublions pas, contrairement à la France, elle s’est intelligemment protégée juridiquement dans sa propre constitution contre certaines dérives européistes.
M. Macron semblait se délecter ce 18 mai de son petit arrangement avec Mme Merkel. Or, si la France n’a rien à y gagner et ne peut qu’être perdante, en revanche, et vu sa situation financière et commerciale, l’Allemagne peut être gagnante et n’a de toute façon pas grand chose à perdre. C’est ce qu’on appelle un contrat léonin . ■
* Agrégé de Lettres Modernes.
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© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
LJD a rudement bien fait de ne pas se laisser impressionner par l’effet d’annonce du plan européen de financement de l’effet Covid, de500 milliards devenus 750… Et de maintenir sa ligne comme définie dans son premier article sur le sujet. La surprise a été brève et décevante. 1. Parce que la France n’aurait rien, sauf s’endetter de sa part au pot commun. 2. Parce qu’on a vite compris que ce financement poudre aux yeux ne représenterait que de 5 à 10% des sommes que les états devront mettre chacun pour soi afin de tenter de survivre au coût économique de la pandémie. Tout ça pour ça ! Dérisoire. C’est pour cela que l’Allemagne a bien voulu payer sa part qui n’a rien d’une fuite en avant déraisonnable.
Ce plan n’est d’ailleurs pas adopté et nul ne sait s’il le sera. Bien réel en revanche est l’ultimatum lancé à la BCE par la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe. L’Allemagne paiera de faibles montants bien définis si c’est encore son intérêt. Elle ne garantira pas des émissions de monnaie massifs et indéfinis. Elle n’aime pas la fuite en avant dans l’inconnu et l’on ne saurait lui en faire grief.