Les « Avertissements » du Livre jaune ont été publiés, me dit-on, sur l’ordre de Delcassé : c’est de bonne guerre. C’est la justification complète des partisans du service de trois ans. Aussi les journaux radicaux et socialistes font-ils le silence sur les avertissements.
La censure a interdit à la presse de publier la traduction d’un nouvel article de La Nouvelle Presse libre de Vienne, qui redouble pour Joseph Caillaux le coup du pavé de l’ours. Cette traduction circule sous le manteau. L’article est intitule « La déportation de M. Caillaux« . Il expose que l’homme de la politique franco-allemande a été exilé en Amérique du Sud parce que son heure venait, la résistance de l’armée touchant à son terme, le pays commençant à s’apercevoir que « l’héroïsme et le sacrifice demeureront vains« . La Nouvelle Presse libre continue en ces termes : « Il l’a vu, il l’a dit, et c’est pourquoi il est soupçonné de trahison et expédié au loin. Pourquoi n’est-il pas accusé ? C’est encore la peur qui arrête une semblable accusation. Qui peut savoir si Caillaux aurait été condamné par un conseil de guerre ? Et, s’il l’avait été, le chef de parti, sacrifié au militarisme, victime de la juridiction militaire apparaîtrait comme un fantôme troublant les veilles de ses meurtriers, et son influence serait peut-être plus grande que celle de Caillaux vivant. « Il y a des morts qu’il faut qu’on tue », dit-on en français. Mais on ne pourrait détruire un tel mort. On lui laisse donc la vie et on veut l’assassiner par l’éloignement. Le temps dira si c’est d’une mort véritable qu’on a voulu frapper M. Caillaux par l’exil.
Il y a des amis de M. Caillaux dans le ministère de M. Poincaré : Doumergue; Augagneur, ministre de la Marine; Viviani, président du Conseil; les ministres socialistes; le radical Sarraut*. Les ennemis sont Delcassé, Poincaré, Millerand, qui se plaisent à être conseillés, dirigés et commandés par l’ambassadeur russe Isvolski. Celui-ci a toujours été un adversaire de Caillaux parce qu’il savait que Caillaux n’était pas un partisan de l’aventureuse alliance franco-anglo-russe, et qu’il n’était pas possible de le gagner par la persuasion ni par d’autres moyens à la politique du Tsar dans la République.
M. Caiilaux était en effet l’homme de la paix et, pour assurer une longue période de tranquillité à sa patrie, il avait toujours été l’avocat d’un rapprochement avec l’Allemagne. Comme ministre des Finances, il était enclin à admettre à la Bourse de Paris des valeurs allemandes et autrichiennes et il ne se cachait pas de dédaigner les moyens méprisables du point de vue économique et financier avec lesquels on étranglerait, par le manque d’argent et la faim, tous les pays qui se refuseraient à suivre la Russie. Voilà son crime aux yeux de M. Isvolski.«
Comme dit Alfred Capus, pour affaiblir la portée d’un pareil article, il faudrait prouver qu’il a été écrit et envoyé au journal autrichien par un ennemi de Joseph Caillaux.
On m’assure que le général Gallieni prendrait le commandement d’un corps d’armée et serait remplacé comme gouverneur de Paris par le général Brugère.
Si quelqu’un s’est révélé comme un véritable homme de guerre, depuis le commencement de cette campagne, c’est le général Foch, un disciple direct du général Bonnal**. C’est lui qui a eu la conception initiale de la bataille de la Marne, alors que Joffre eût été d’avis de redescendre jusqu’à Orléans. Une heureuse reconnaissance d’aéroplane du capitaine Bellanger ayant révélé qu’il y avait un large hiatus entre l’armée du général de Bülow et celle du Kronprinz, Foch décida le généralissime à prendre l’offensive. Sa supériorité s’impose au point que Maud’huy*** et Castelnau, c’est-à-dire deux de nos meilleurs chefs, se sont volontairement placés sous ses ordres.
Pierre Lalo****, allant en mission officielle à Reims, s’est trouvé à son quartier général. « Si le coeur vous en dit, proposa Foch, vous allez pouvoir assister à un beau spectacle. » Quelques heures plus tard, une division de la garde prussienne était surprise dans une vallée. Notre artillerie, s’étant défilée sur les hauteurs environnantes, la couvrit d’abord d’obus. Ensuite le feu fut dirigé en arrière de manière à couper la retraite de l’ennemi. A ce moment, deux régiments de turcos mis en réserve furent lancés contre la garde. Lalo vit les soldats noirs se défaire rapidement de leurs chaussures, puis, pieds nus, avec une terrible agilité, se lancer contre les Prussiens, la baïonnette d’une main, une sorte de sabre-poignard de l’autre. Ce qu’il restait de la division de la garde fut anéanti en une demi-heure d’un carnage terrible et fantastique. Cela se passait entre la Pompelle et Prunay.
Pierre Lalo se trouvait à Bayreuth au moment de la déclaration de guerre. Il n’y avait plus d’autres Français que lui. Le soir du 1er août, on jouait Parsifal. Pendant un entracte, Pierre Lalo voit tous les spectateurs accourir sous le péristyle du Bubneufestpielhaus. Les trompettes du théâtre, dans leur costume, sonnent la marche du Graal, et le préfet donne lecture de l’ordre de mobilisation. Après cela, le troisième acte de Parsifal fut chanté, mais, pour la première fois depuis que Bayreuth existe, au milieu du bruit des conversations.
Lalo a eu beaucoup de mal à regagner la France : les Allemands ont eu tort de le laisser repartir, car il s’engage avec quelques amis dans l’armée belge et va faire campagne à bord, si je puis dire, d’une automobile blindée armée d’une mitrailleuse.
En traversant la Bavière, après son expulsion, il a assisté à la mobilisation et a été surpris des scènes de désolation auxquelles il a assisté dans toutes les gares. •
VERDU sur Éloquence : Tanguy à la tribune,…
“Il est bon !!”