On cite des mots de Poincaré. Ils sont tous effrayants pour la connaissance de son état d’esprit. Au moment où le Président allait quitter Paris, il avait reçu les ambassadeurs des Etats-Unis et d’Espagne, sous la protections desquels, en somme, le gouvernement plaçait la capitale. La conversation terminée, faisant ses adieux aux deux étrangers, le Président, traversant un salon et montrant les Gobelins et les vases de Sèvres, ne put se retenir de soupirer :
– Et dire que c’est peut-être la dernière fois que je vois tout cela !…
Herrick*, l’ambassadeur des Etats-Unis, a été très bien, très galant homme, très amical dans toutes ces affaires. Il vient de rentrer en Amérique et c’est bien dommage : peut-être le président Woodrow Wilson l’aura trouvé trop sympathique à la France. Le fait est que Herrick et le personnel de son ambassade se promenaient à dessein dans les rues lorsque apparaissaient des taubes, dans l’espoir, disait-il, moitié sérieux moitié plaisant, de recevoir un éclat de bombe et de déterminer par là un bon incident entre l’Allemagne et l’Amérique. D’ailleurs Herrick ne cache pas son mépris pour notre personnel gouvernementale et, me dit-on, abonde en anecdotes ironiques sur les évènements du mois d’août. Il était, en particulier, très renseigné sur les pressions exercées par les Anglais pour obtenir la reconstitution du ministère et la résistance de Paris. Il considérait la France comme étant passée sous le protectorat de French et de Kitchener.
L’élément militaire domine de plus en plus le gouvernement. La confiance en Millerand est affaiblie dans l’armée : bon ministre en temps de paix, il aurait été inférieur comme organisateur à ce que le commandement attendait de lui en temps de guerre. Aussi l’autorité des grands chefs de l’armée grandit-elle. On attribue ce mot à Poincaré :
– Nous vivons sous la tyrannie de Joffre. Et elle est dure.
On m’informe que, dans le parti républicain, des « radicaux patriotes » songent à renforcer le gouvernement en y introduisant des éléments militaires. En somme, il y a trois centres : Bordeaux, avec les ministres; Paris, avec Gallieni, Reinach** et Doumer et enfin le grand état-major…
Reçu de Londres cette lettre d’un pessimiste qui n’a jamais eu qu’une confiance très limitée dans l’intensité de l’effort anglais :
« …Vous voyez qu’ils n’avaient pas tort, mes amis de la cour anglaise, et du Foreign Office. Le prince de Bülow lui-même va tenter le coup à Rome***. Dernières nouvelles : à Madrid, il s’est passé des scènes orageuses entre les deux reines, l’anglaise et l’autrichienne. L’Autriche n’épargne aucun effort. La cour espagnole est divisée à l’heure actuelle. Quant aux enrôlements et malgré le bluff des journaux anglais, c’est fini. Le départ du prince de Galles n’a rien donné, et la mort de lord Roberts, qui supplia, lors de l’inauguration u monument de Brighton, les jeunes filles de ne faire flirt qu’avec des jeunes hommes ayant satisfait au devoir militaire, n’arrange rien. En haut lieu, on ne sait plus que faire. De l’argent, oui; des hommes, non. »
D’autre part, d’après des nouvelles reçues, l’attitude de l’Italie redeviendrait incertaine. ♦
Cincinnatus sur Une initiative papale qui, curieusement, arrive…
“Nous ne sommes pas capables en France d’une révolution de velours, nous sommes incapables de faire…”